Test d’activité agricole : itinéraire d’un dispositif qui facilite l’installation

Le dispositif de test d’activité agricole a permis d’installer plus de 130 agriculteur.rices et entrepreneur.es alimentaires en plus de 10 ans d’existence. Comment est né ce dispositif ? Quelles en sont les particularités en Ile de France ? Comment a-t-il évolué ? Quels sont les enjeux actuels pour continuer d’installer toujours plus de paysan.nes, et être au rendez-vous du renouvellement des générations agricoles ? Nous avons posé toutes ces questions à Sylvain Péchoux, chargé de développement aux Champs des Possibles, qui en a aussi été co-gérant pendant 8 ans.

 

Comment est né le dispositif de test d’activité agricole en Ile-de-France ?

Il faut revenir vingt ans en arrière, avec la naissance des premières AMAP (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne) en 2003. Elles démarrent en force en Ile de France, et l’offre de maraîchage bio s’en trouve rapidement saturée. Les AMAP qui continuent de se créer vont chercher de plus en plus loin leurs maraîcher·ères, jusqu’à deux régions de distance… Se pose alors la question : comment répondre localement aux besoins de ces nouvelles AMAP ?

 

De ces interrogations naissent deux constats pour lever les freins de l’installation agricole :

  • Premièrement, l’accès au foncier doit être facilité : c’est la naissance de la foncière Terre de Liens en 2005 ;
  • Deuxièmement, l’accompagnement à l’installation, notamment via la formation, est insuffisant pour les maraîcherères bio. Dominique, du réseau des AMAP IDF connaissait bien le sujet des couveuses d’activité (hors agriculture) : elle propose de réfléchir à ce format pour encourager ces installations. Et qui dit couveuse agricole dit lieu pour accueillir les couvé·es : on se met alors à la recherche d’une ferme couveuse qui soit aussi un lieu de formations.

 

 

Et c’est à ce moment-là que tu rejoins l’aventure, avec pour mission de trouver cette ferme couveuse ?

Oui, j’ai été recruté par le réseau pour développer cette ferme d’accueil et de formations pour des porteur·ses de projet. En 2008 nous étions sur la piste d’une ferme à Coubron, dernière ferme laitière de Seine-Saint-Denis, mais le foncier n’était finalement pas disponible. Ensuite, nous avons envisagé une ferme à Flins-Les-Mureaux, mais là encore le projet n’a pas abouti : un projet de circuit de Formule 1 (finalement avorté) a engendré trop de retard pour notre recherche. Finalement, Jean-Louis Colas, membre du Conseil d’Administration du réseau des AMAP et agriculteur proche de la retraite propose sa ferme : elle est à Toussacq, en Seine-et-Marne.

 

Comment s’est passé le passage de la ferme de Toussacq en ferme d’accueil, une première en Ile-de-France ?

En 2009, nous avons créé Les Champs des Possibles qui était une association à l’époque ; même si elle avait déjà vocation à devenir une société coopérative à terme (ce qui sera fait en 2016), avec un sociétariat multiple. Son Conseil d’Administration – qui comptait notamment Anne-Sophie et Jérôme parmi les fondateurs – était le même que celui du réseau des AMAP, et Laurent Marbot, maraîcher en AMAP, en a été le premier président. Cela a permis de démarrer – avec un statut de salarié à l’époque – les deux premières personnes couvées : Jérôme Véronique et Alice Fumagalli, qui se sont formé.es aux côtés de Jean-Louis et Freddy Letissier. Le test d’activité répondait – et répond toujours- à trois fonctions essentielles portées par les Champs des Possibles : hébergement juridique de l’activité, mutualisation des moyens de production et accompagnement sur les aspects économiques, techniques et commerciaux.

 

Ce dispositif était-il pionnier à l’échelle nationale ?

Nous n’étions pas les seul.es à réfléchir à ce dispositif : il y avait des projets dans la Drôme, dans le Béarn, dans le Nord-Pas-de-Calais… de nombreux espaces-test naissaient en parallèle, mais sur des projets ruraux et pas seulement agricoles (librairies notamment). Notre particularité a été à la fois de naître d’un réseau d’AMAP et de nous implanter dans un territoire péri-urbain plutôt que rural. Nous avons beaucoup échangé, partagé nos réflexions, nos bonnes pratiques, et pesé ensemble pour faire reconnaitre le contrat CAPE par la MSA – chose faite en 2012. Forts de cette expérience, nous avons créé le RENETA, Réseau National des Espaces-Test Agricoles en 2012, toujours actif aujourd’hui.

Le RENETA, un réseau national pour consolider et défendre le dispositif d’espace-test agricole

L’association RENETA (Réseau National des Espaces-Test Agricoles) nait en 2012 de la volonté de praticien.nes d’espaces-test agricoles de se rassembler et travailler sur des axes communs. Aujourd’hui, le RENETA regroupe 63 espaces-test agricoles, et 18 sont en projet.

Les principales missions du réseau sont :

  • animer les liens entre praticien.nes des espaces-test agricoles et faciliter les échanges de pratiques
  • accompagner à l’émergence de nouveaux espaces-test agricoles et à la restructuration d’espaces-test agricoles existants
  • rechercher des solutions innovantes (en recherche-action)
  • défendre le dispositif auprès des dirigeants politiques via des missions de plaidoyer et le valoriser auprès de structures non membres et de partenaires institutionnels.

 

Le RENETA est engagé dans le Collectif Nourrir.

« Tous les espaces-test sont différents. C’est une force de notre réseau, en même temps que cela complexifie la définition de ce dispositif et sa juste appréhension par nos publics. Notre mission au sein du RENETA est donc valoriser ces particularités, tout en facilitant les partages d’expériences afin de coconstruire des espaces adaptés à leur territoire et à celles et ceux qui en auront la pratique. »

 

Quelles sont les évolutions notables depuis la création du dispositif à Toussacq en 2009 ?

Depuis 10 ans, de nombreuses fermes d’accueil ont rejoint l’aventure, tout en gardant une activité productive pérenne : d’abord la ferme de Freddy Letissier au Tremblay-sur-Mauldre dans les Yvelines, puis à Saulx-Les-Chartreux en Essonne en 2012…

L’équipe salariée interne des Champs des Possibles s’est aussi étoffée, d’abord avec des salarié.es en accompagnement et en comptabilité, jusqu’à atteindre une dizaine de personnes aujourd’hui. Un organisme de formation a aussi été créé en 2011, à l’origine pour former les couvé.es à l’utilisation de matériel mutualisé. L’offre de formations s’est largement enrichie depuis, notamment en compta-gestion avec la création de l’AFOCG-IDF en 2017.

Les profils de porteur.ses de projet évoluent aussi : d’agriculteur.rices ou éleveur.ses, nous avons aussi ouvert à des entrepreneur.ses en transformation alimentaire et en services autour de l’alimentation : conseil, formation, animation pédagogique…

« Face à l’enjeu de renouvellement des générations d’agriculteur.rices et de transmissions de fermes, nous avons plus que jamais le défi de rester attractif, et d’encourager les nouvelles installations. »

 

Les Champs des Possibles ont aussi créé une CAE en 2016, pour proposer aux couvé.es en fin de test de rester dans une structure coopérative. Est-ce une spécificité francilienne ?

Nous sommes en effet très peu en France à proposer un CESA, Contrat d’Entrepreneur.se Salarié.e Associé.e en fin de test d’activité. Cette création a été portée par des entrepreneur.ses arrivé.es en fin de test (Maëla Le Guillou, Michel Deserville et Alexandre Faucher), qui souhaitaient rester dans une structure coopérative. Aujourd’hui, on compte 26 entrepreneur.ses salarié.es associé.es au sein de la CAE (Coopérative d’Activité et d’Emploi). Nous défendons d’ailleurs auprès des pouvoirs publics, notamment dans le cadre de la nouvelle Loi d’Orientation Agricole, la reconnaissance de ce statut d’ESA en agriculture comme un statut agricole à part entière, qui donnerait accès aux aides à l’installation (la DJA – Dotation Jeune Agriculteur) …

 

Et aujourd’hui, quelle est la tendance de ce dispositif ?

Après un fort développement en 2021-22, sûrement encouragé par la période post-Covid, on assiste à de nombreuses sorties de tests en 2023, souvent en vue d’installations collectives, qui ne sont pas compensées par de nouvelles entrées. Cela nous pose question : crise de la bio ? Frilosité à sauter le pas dans un contexte de morosité économique et d’inflation ? Perte d’attractivité de la région francilienne ? … Face à l’enjeu de renouvellement des générations d’agriculteur.rices et de transmissions de fermes, nous avons plus que jamais le défi de rester attractif, et d’encourager les nouvelles installations.

Nous continuons donc de repenser le dispositif pour qu’il reste adapté aux besoins des porteur.ses de projet, et expérimentons par exemple un nouvel espace de test d’activité à la Ferme de Paris, en plein cœur du bois de Vincennes, pour celles et ceux qui souhaitent concilier activité agricole et mode de vie urbain.

 

 

Sylvain Péchoux, chargé d’accompagnement et de développement aux Champs des Possibles

 

Crédit photo de couverture : Image de rawpixel.com sur Freepik

 

 

L’histoire du dispositif… en quelques dates

  • 2003 : naissance des premières AMAP en IDF
  • 2005 : naissance de Terre de Liens-IDF. Dans le Nord Pas de Calais, première expérience de test d’activité agricole, au Germoir
  • 2008 : premières rencontres nationales d’acteurs et actrices travaillant sur des espaces-test agricoles (qui préfigurent la création du RENETA en 2012)
  • 2009 : création de l’association des Champs des Possibles
  • 2009 : le réseau des AMAP Ile-de-France, Terre de Liens Ile-de-France, Les Champs des Possibles et le GAB-Ile-de-France sont rassemblés dans le pôle Abiosol
  • 2011 : création de l’Organisme de Formation des Champs des Possibles
  • 2012 : reconnaissance du statut de CAPE par la MSA et création du RENETA
  • 2016 : les Champs des Possibles passent de statuts d’association à une SCIC-SARL
  • 2016 : création de la CAE des Champs des Possibles
  • 2017 : création de l’AFOCG-IDF
  • 2023 : lancement d’un espace-test agricole en plein cœur de Paris

L’histoire du dispositif… en quelques chiffres

Sur les 130 personnes passées par le test d’activité des Champs des Possibles depuis 2009, …

  • 80% ont créé leur activité suite à leur test

  • 10% ont retrouvé un salariat en agriculture

  • 10% n’ont pas poursuivi cette orientation

 

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