Deuxième épisode de notre série consacrée à l’adaptation des fermes au changement climatique, direction La Clairière Paysanne à Magny-les-Hameaux dans les Yvelines. Jean-Luc Damoiseau, entrepreneur à la coopérative, y est maraîcher et consacre une partie de sa surface à des tests de diversification de cultures. Le but ? Voir ce qui marche, et compenser d’éventuelles pertes de récoltes dues aux événements climatiques imprévisibles. Il nous raconte.
Jean-Luc est arrivé sur le site en 2019 en tant que saisonnier, embauché par Robert Pirès et Hervé Givry, les deux maraîchers historiques de la ferme. Suite au départ à la retraite d’Hervé, il reprend petit à petit son activité, aux côtés de Marc-Albert Bourdassol, maraîcher, et Alban, apiculteur et arboriculteur, qui ont depuis monté La Clairière Paysanne. Ils lui mettent à disposition 5 000m2 de surface en plein champ et sous serres. Cette année est donc sa quatrième saison ici, d’abord en test d’activité, puis en entrepreneur salarié associé ! Il commercialise ses produits essentiellement auprès de 2 AMAP à raison de 40 paniers/semaine. En cas de surproduction, Jen-Luc vend aussi ses légumes à la Coop Villaroise à Guyancourt.
La Clairière paysanne à Magny-les-Hameaux
La Clairière Paysanne est une EARL portée par Marc-Albert Bourdassol, ancien entrepreneur à la coopérative en maraîchage, et Alban Augé, apiculture et arboriculteur. La ferme compte 2,45 ha de surface, dont 1,5ha sont cultivés en maraîchage : 2/3 par Marc-Albert et 1/3 par Jean-Luc.
Le site est un lieu d’accueil pour les tests d’activité, avec Les Champs des Possibles
Pourquoi avoir décidé de tester des nouvelles cultures sur la ferme ?
Je réalise en effet de plus en plus de tests, car je vois déjà les effets du dérèglement climatique : climat anormal pour la saison, changements brusques de températures, augmentation du vent, des orages, alternances entre épisodes de sécheresse et de pluies intenses… Et ces évènements sont d’autant plus néfastes pour les cultures qu’ils sont difficilement prévisibles. Il faut partir du principe que chaque année, et malgré tous nos efforts, il y a des cultures qui vont fonctionner et d’autres pas. D’où l’importance de diversifier au maximum, ce qui doit passer par des phases de tests.
Comment mets-tu en place ces tests ?
A la fin de l’année, avec Marc-Albert, on échange sur notre saison, et on partage nos envies pour l’année prochaine. On se renseigne sur ce qui se fait autour de nous, et on regarde aussi ce que peuvent faire d’autres fermes, notamment via Youtube. On décide ensemble de mener des tests, dont on fait le bilan chaque année. Et on optimise l’espace au maximum pour mener ces tests sur des surfaces non utilisées par ailleurs. Il y a deux principales fonctions à ces tests :
- sécuriser les paniers d’hiver en diversifiant les productions,
- identifier les cultures plus adaptées au changement climatique.
Alors, quelles nouvelles cultures pour sécuriser la fin de l’année ?
Depuis l’année dernière, je teste la culture de la chayotte, ou christophine. C’est une liane que j’ai implantée en bord de serre, et qui grimpe sur l’armature. Elle produit beaucoup de fruits, et me permettra de diversifier mes paniers en novembre/décembre, une fois le gros de la saison passé. Elle ne demande pas beaucoup d’entretien, même s’il faut la tailler car elle prend vite de la place. Son ombre sert à rafraichir les plantes sous serres, comme le raisin de table implanté par Alban, l’arboriculteur de la ferme. Cette année, ça a même permis d’éviter le recours aux voiles d’ombrage.
Super diversification pour l’hiver aussi, et qui ne demande pas beaucoup d’entretien : les endives. J’en ai acheté en griffes l’année dernière pour faire du forçage, ce qui a bien marché. On les a mises dans des palox avec du compost et du sable, dans le noir, en les arrosant régulièrement. Les clients sont très contents d’avoir ce produit pour l’hiver. On va recommencer cette année, en améliorant notre conduite technique, en les plaçant sous serre, dans l’espace de pépinière.
Et n’oublions pas le topinambour, dont je tiens à garder une petite surface de culture. Ce tubercule est très peu exigeant, repart d’une année sur l’autre, jusqu’à devenir presque envahissant parfois. Je ne compte pas dessus, mais ils peuvent m’apporter une sécurité pour remplir les paniers l’hiver en cas de besoin.
Et côté nouveautés, peut-être plus exotiques ?
Cette année, je lance la culture de gingembre, pour savoir si elle peut prendre et si je peux compter dessus à terme pour mes paniers. Je l’ai implantée sous serre et elle a fait ses racines. Elle a germé un peu tard pour cette année, mais j’ai bon espoir pour l’année prochaine !
Je teste aussi la patate douce comme beaucoup de fermes aux alentours. Je l’ai implantée au printemps dans un terrain entre deux serres après avoir ajouté du broyat de bois durant l’hiver pour restructurer le sol et apporter de la matière organique. Affaire à suivre cet hiver…
Je teste aussi la cacahuète et conseille l’ail éléphant, à mi-chemin entre ail et poireau, qui produit de très grosses gousses, au goût moins prononcé que l’ail. Je l’ai découvert grâce aux vidéos de la Ferme de Cagnolle sur Youtube, une ferme maraîchère dans le Sud qui documente ses tests de culture. Je le cultive depuis deux ans en petite quantité, mais j’augmente la surface petit à petit, car cela marche bien et compense le fait que mon ail de conservation en plein champ ne marche pas très bien.
Tu évites les cultures gourmandes en eau ?
Oui, j’essaie de privilégier des cultures résilientes, qui ne demandent pas trop d’arrosage. Pourtant, je fais aussi des tests de maïs, conduit comme une plante pérenne, et implanté en bords de serres, là où l’eau ruisselle après les épisodes de pluie. Ces terres, paillées de broyat et gorgées d’eau sont idéales pour cette culture, que je peux distribuer en épi dans les paniers, ce qui plaît beaucoup.
Quelles autres stratégies d’adaptation mettez-vous en place sur la ferme ?
On peut changer les façons de cultiver nos légumes. Par exemple, l’année dernière, nous avons eu beaucoup de pluie, et les oignons cultivés sous bâche ont été inondés. Cette année, on les a implantés dans du compost pour moins garder l’humidité. Même si la météo est très différente, cela marche quand même bien.
On pense aussi à augmenter la production de semences sur la ferme, pour qu’elles soient bien adaptées à notre environnement.
Et quand on aura un peu plus de temps, on aimerait creuser le sujet des choix variétaux les plus adaptés pour chaque légume, en passant par des tests sans doute.
Le conseil de Jean-Luc pour diversifier ses productions ?
Commencer à petite échelle, quitte à augmenter la surface des tests petit à petit. Et tester des cultures qui ne soient pas complexes à mettre en place.